OP : DEUX PROJETS CONCURRENTS
Pour négocier des contrats équitables, les organisations syndicales partent à la conquête du terrain. Car un seul projet peut aboutir. Il dessinera les contours de l'après-2015.
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ENFIN UN PREMIER SIGNE CONCRET ENVOYÉ aux éleveurs français qui se retroussent les manches depuis des mois pour organiser l'amont de la filière. La commission agriculture du Parlement européen s'est prononcée, le 27 juin, en faveur de regroupements des producteurs (voir encadré). Le Conseil agricole suivra-t-il cette recommandation à l'automne ? Rien n'est écrit.
En France, l'obligation donnée aux industriels privés de proposer un contrat avant le 31 mars 2011 a mis les producteurs dans l'embarras. Pas ou mal organisés, sans support juridique véritable, les plus motivés se sont engagés dans une course contre la montre pour rassembler le maximum de producteurs avant d'entamer les négociations avec chaque entreprise. Leurs collègues l'ont bien compris. Peu ont aujourd'hui signé les contrats.
C'est que de leur contenu dépend le nouveau modèle de fonctionnement de la filière après 2015. Quelle sera alors leur liberté de produire ? Seront- ils pieds et poings liés avec les industriels, comme le laissent craindre certains contrats ? Avec une question subsidiaire mais de taille : vers quel pro jet d'organisation doivent-ils pencher : celui défendu par la plate-forme Apli-OPL-Confédération paysanne ou celui avancé par la FNPL-FNSEA ? En arrière-plan de cette compétition se dessine l'échéance des élections des chambres d'agriculture. Pour les premiers, il s'agit de concrétiser l'audience qu'ils affirment détenir sur le terrain, pour la FNSEA reconquérir ses troupes presque deux ans après la grève du lait.
OP PAR LAITERIE CONTRE OP TRANSVERSALE
La FNPL défend une construction par étage : d'abord une OP asyndicale par laiterie, puis une fédération d'OP à l'échelle d'un bassin laitier.
Pour l'Apli et l'OPL, l'action collective est également essentielle, voire indispensable. Mais selon eux, les OP par laiterie ne feront pas le poids face aux industriels. La Confédération paysanne les a rejoints pour rédiger un contrat type qui s'imposerait à l'ensemble des laiteries. Il serait négocié par une OP nationale. Celle-ci se déclinerait ensuite en OP par bassin et par laiterie. À charge pour elles de négocier d'éventuelles adaptations.
Aujourd'hui, la construction du contrat type s'achève (voir « Dites-nous pourquoi » p. 16). La seconde phase va débuter cet été avec la présentation du projet aux éleveurs. Des réunions seront organisées un peu partout, avec l'espoir de convaincre. Entre 5 et 10 % des producteurs français auraient adhéré à France Milk Board contre environ 20 % de promesses d'engagement il y a un an. Restera à finaliser le contrat et à mettre les laiteries autour de la table de l'Office du lait. Lactalis a d'ores et déjà annoncé son refus de discuter dans ce cadre. « Nous ne négocierons qu'avec nos producteurs. »
Les 16 000 « Lactalis » sont emblématiques des situations inégales et des frictions rencontrées sur le terrain. Certains sont déjà en groupements de producteurs, d'autres partent de zéro. L'enjeu est donc double : pour les premiers, renforcer leur poids en rassemblant au moins au niveau du bassin laitier, pour les autres commencer par se constituer en association. Dans les deux cas, la tâche est laborieuse.
LES « LACTALIS» SCRUTÉS
En Bretagne, les 1 700 « ex-Bridel » expriment leur réticence. Attachés à leur identité – leur groupement existe depuis cinquante-trois ans –, ils ne refusent pas de rejoindre une organisation régionale, pour peu qu'elle ne soit pas pilotée par des responsables de groupements dans le giron FNPL. Même son de cloche à Domfront (Orne). « Je crains la mainmise de la FNPL sur les groupements », exprime Jean- Luc Guillais, à la tête depuis un an des 610 adhérents. Le Domfrontais se dit prêt à négocier avec les groupements de sensibilité FNPL face à Lactalis, « à condition qu'en amont, nous nous soyons mis d'accord sur tous les points ». Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Malgré tout, face à l'émancipation des groupements Lactalis, le géant fromager allume des contre-feux. Début juin, il a envoyé à ceux ayant besoin d'un toilettage juridique un modèle de statuts d'association. « Il a oublié de mentionner le mandat de facturation que l'adhérent peut donner à l'association », ironisent les cinq présidents de groupements de producteurs de la Manche et du Calvados (pour un total de 340 adhérents). Peut-être parce que ce mandat donnera accès aux informations sur les volumes. » Dans un courrier commun à l'entreprise, ils ont exprimé leur inquiétude face à sa proposition de contrat. Une façon aussi de signifier la fin des groupements « maison »
SE DÉBARRASSE DES ÉTIQUETTES SYNDICALES
Pour ceux qui partent de zéro, la tâche est rude. C'est le cas d'une bonne partie des éleveurs Lactalis de Bretagne, une région qui compte peu de groupements de producteurs. Dès la mi-février, un groupe d'éleveurs s'est constitué dans le but de rassembler un maximum de livreurs dans une même OP. Ces pionniers ne ménagent pas leur énergie pour convaincre de leur bonne foi. Car si la plupart sont engagés dans les FDSEA, ils mettent en avant leur volonté de créer une organisation économique, et donc non syndicale. Ils ont enchaîné les réunions et leur engagement syndical leur a souvent été reproché. Conscients de la difficulté, ils ont pris leur distance avec leur FDSEA, assumant eux-mêmes l'organisation logistique. À la fin juin, 700 des 4 000 livreurs ont adhéré à cette association.
Pour monter en puissance, l'association veut rapidement – début juillet – organiser une assemblée générale élective. Mais d'abord, elle espère parvenir à un taux d'adhésions de 25 à 30 %. « Nous avons créé un réseau local pour aller discuter avec tous les éleveurs », précise Frank Guéhénnec, l'un des initiateurs du projet. Un travail énorme pour aller chercher les signatures une par une. Pour lui, il n'y a pas d'ambiguïté. « Les élections doivent avoir lieu au plus vite et en présence d'un maximum de personnes. Ceux qui ont des mandats ailleurs devront choisir. Je crois qu'il y a incompatibilité entre une responsabilité dans une organisation économique et dans un syndicat. » Pour cet éleveur, cette situation inédite donne aux producteurs une superbe occasion de se prendre en main. « Notre projet d'OP et celui de l'Apli se ressemblent sur le fond. L'approche diffère, mais nous sommes d'accord sur la nécessité de réguler le marché, d'adapter l'offre à la demande dans le but d'obtenir le meilleur prix du lait. » Dans le Morbihan, les responsables des différents syndicats se sont rencontrés à plusieurs reprises.
Des ouvertures syndicales se vivent également à l'intérieur des groupements de producteurs existants. En Nord-Pasde- Calais, parmi les trente administrateurs du groupement Danone, quatre sont aplistes. « Les débats sont animés, mais aucun sujet n'est occulté affirmait le président, Gilles Durlin, dans L'Éleveur laitier de juin 2011.
Les choses sont peut-être plus simples à l'échelle des petites entreprises. En témoigne l'expérience de la Sill, une laiterie qui collecte 380 éleveurs, essentiellement dans le Finistère. Jusque-là, les éleveurs n'étaient pas structurés. La contractualisation a fait germer l'idée. Portée par des proches de la FDSEA, elle a suscité des débats, révélateurs de l'attente du terrain. Mais finalement, un petit groupe de huit personnes représentatives des différentes zones de collecte s'est constitué. Il a pu discuter avec la laiterie en amont de la rédaction du contrat
« Nous avons 120 adhérents d'horizons syndicaux variés, alors que l'association n'existe pas officiellement en raison de tracasseries administratives », raconte Jacques Le Bloas, l'un des membres du groupe. En attendant, le président choisi est le doyen du groupe. Les élections auront lieu dès la création de l'association. Mais déjà, un but essentiel est atteint puisque le contrat proposé convient assez bien aux éleveurs. « Il reste quelques points à améliorer et la Sill est ouverte à la discussion. » La bataille pour les adhésions va se poursuivre durant l'été. On verra alors si l'urgence fait tomber les barrières entre les syndicats pour se focaliser sur l'essentiel : construire un mode de fonctionnement prenant en compte l'intérêt de tous les éleveurs et de l'ensemble de la filière. Il semble que contrairement à certains de leurs dirigeants, beaucoup sur le terrain estiment que la « guéguerre » syndicale a assez duré.
CLAIRE HUE ET PASCALE LE CANN
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